La légalisation du cannabis récréatif s’est bien souvent retrouvée au centre de débats enflammés en Allemagne. Mais cette fois-ci, tout semble se concrétiser. En effet, le ministre de la Santé, Karl Lauterbach, a tenu hier — mercredi 26 octobre — une conférence de presse pour partager les détails du projet. Elle a d’ailleurs permis d’en apprendre davantage sur les dispositions de ce nouveau plan gouvernemental. Celui-ci vise principalement à décriminaliser l’usage de la marijuana. Une réaction rapide à laquelle on pouvait s’attendre suite à la pression des défenseurs de la plante. Ce projet deviendra un texte de loi dès 2024 si la Commission européenne statue en sa faveur. Ce qui change ? Une limite de possession définie à 30 grammes par personne et la commercialisation réservée aux revendeurs agréés. Les détails.
Une première version qui n’a pas convaincu
Si la décision est aujourd’hui prise, le sujet a beaucoup fait débat il y a quelques jours encore. Une version provisoire de ce projet de loi visant la légalisation du cannabis a effectivement fuité la semaine dernière. Pour rappel, le document initial (divulgué mercredi 19 octobre) a entre autres fait mention d’une limite de 15 % de taux de THC pour les produits mis en vente. Le seuil était même de 10 % pour les jeunes de 18 à 21 ans.
Cette décision était alors sujette à de nombreuses critiques virulentes. Elles venaient autant des partisans que des opposants de la réforme. D’un côté, la restriction ne jouerait par exemple pas en faveur de la liberté des consommateurs. Après tout, la majorité des produits à base de marijuana disponibles actuellement présenteraient une teneur en THC moyenne comprise entre 20 et 30 %. Cela signifie que la légalisation du cannabis ne produira pas l’effet escompté, étant donné que la régulation contrôlée continuera de nourrir le marché noir.
Kirsten Kappert-Gonther a également pointé du doigt l’inefficacité d’un plan qui exige la commercialisation d’une marijuana produite uniquement sur le territoire. Pour cause, la quantité serait insuffisante pour satisfaire les besoins des consommateurs. De l’autre part, certains opposants parlent d’une décision prise à la hâte. Simone Borchardt, en particulier, a dénoncé la volonté du gouvernement fédéral de concrétiser la légalisation du cannabis récréatif le plus rapidement possible.
En agissant ainsi, il aurait pourtant mis de côté la protection des enfants et des jeunes contre cette substance qui ne reste pas moins une drogue. Selon elle, l’Allemagne devrait plutôt se consacrer sur une éducation et une prévention efficaces. Cela pourrait donner de meilleurs résultats encore, au lieu de jouer sur les seuils autorisés par rapport au taux de THC pour certains groupes d’âge.
Quelques modifications aperçues dans le document final
Le débat a été particulièrement animé depuis quelques jours. Cela a probablement poussé le gouvernement du chancelier Olaf Scholz à réagir rapidement. Une semaine après la fuite du document initial, le ministre de la Santé social-démocrate Karl Lauterbach a tenu une conférence de presse pour révéler les détails du projet de légalisation du cannabis en Allemagne. On a d’ailleurs observé quelques modifications. Elles concernent surtout les propositions qui pouvaient a priori compliquer les efforts de transition des consommateurs vers le marché légal.
Cependant, l’objectif reste le même : réglementer la distribution et la consommation de marijuana. La décriminalisation concerne entre autres l’acquisition et la possession de 20 à 30 grammes de cannabis récréatif pour un usage personnel. Elle s’adresse exclusivement aux adultes de plus de 21 ans. Les consommateurs pourront dans tous les cas se fournir auprès de magasins agréés qui seront soumis à un contrôle rigoureux de l’État.
De même, la légalisation du cannabis serait un point de départ pour autoriser la culture domestique de 2 à 3 plantes. Quoi qu’il en soit, ce projet vient en appui à la législation sur le cannabis médical qui a eu lieu au printemps 2017 en Allemagne. À l’heure actuelle, les patients qui souffrent de pathologies graves ont déjà l’autorisation de se tourner vers l’usage thérapeutique de marijuana en guise de soins alternatifs. Ces maladies concernent entre autres le cancer, l’épilepsie et la sclérose en plaques.
Légalisation du cannabis dès 2024, une démarche aux différents enjeux
Les défenseurs de la marijuana mettent en exergue l’hypocrisie des gouvernements quant à ce produit. En effet, tout pays valorisant la liberté des consommateurs ne devrait pas punir ceux qui consomment cette substance. Cependant, de nombreux obstacles empêchent encore les différents États d’Europe à se lancer dans une démarche de décriminalisation.
Pour l’Allemagne, la protection des enfants fait notamment partie des principaux arguments contre la légalisation du cannabis. Le ministère de la Santé n’est pas de cet avis. Il défend surtout ce projet en présentant la régulation du marché comme la meilleure solution pour assurer un contrôle poussé de la chaîne d’approvisionnement. Pour preuve, les politiques restrictives menées jusqu’ici n’auraient pas porté leurs fruits.
Puisque les fournisseurs ne pourront pas vendre de la marijuana aux jeunes de moins de 21 ans, cela fera office d’un obstacle de plus à l’accès des adolescents au cannabis. Plusieurs études menées aux États-Unis démontrent d’ailleurs que les réformes vis-à-vis de la politique du cannabis récréatif n’entraînent pas une augmentation des taux de consommation chez les jeunes.
Bien entendu, on n’oublie pas que la légalisation du cannabis a également pour objectif de garantir la protection sanitaire. La marijuana légale sera régie par des normes rigoureuses. Ce qui ne serait pas le cas si les consommateurs passent par exemple par n’importe quel vendeur dans la rue. De plus, le maintien de l’interdiction des publicités incitant l’achat de produits à base de marijuana pourrait participer à la protection des jeunes par rapport à l’exposition à cette drogue douce.
Évidemment, la légalisation du cannabis participerait aussi à la réduction de l’activité criminelle. Et ce, tout en gardant les profits hors du marché noir. Bien au contraire. Les recettes fiscales prévues pour l’État pourraient atteindre les 2 milliards d’euros dans ce cas.
Un projet sous réserve de l’aval de la Commission européenne
Le plan de légalisation du cannabis est le fruit d’un travail de dur labeur pour le gouvernement de coalition allemande. Celui-ci a observé plusieurs mois d’examen et de négociations avant d’aboutir à ce résultat. Dans sa conférence de presse, Karl Lauterbach n’a pas présenté de calendrier précis pour la mise en application. Il avance toutefois que 2024 sera certainement une date réaliste pour son entrée en vigueur. Avant de mettre définitivement fin à la prohibition de la marijuana dans le pays, l’Allemagne devra néanmoins prouver la conformité du document par rapport au droit international et européen.
Si la Commission européenne approuve le plan de légalisation du cannabis, ce projet pourrait constituer une base pour une réforme plus large au sein de l’UE. Il ferait d’ailleurs de l’Allemagne le deuxième pays de l’Union européenne à légaliser le cannabis (après Malte). Tandis que le Luxembourg est sur la voie d’autoriser l’usage récréatif du cannabis.
Quoi qu’il en soit, les défenseurs de la légalisation du cannabis à l’échelle continentale se languissent de connaître la décision de la Cour de juste de l’UE. Nombreux sont néanmoins ceux qui se montrent optimistes. D’autant plus qu’en 2020, la Commission européenne a déjà incité les États membres à voter en faveur de la recommandation de l’OMS visant à déclassifier le cannabis de la catégorie des stupéfiants.
Légalisation du cannabis, une disposition clé relative aux limites de THC
La décision du gouvernement fédéral allemand à concrétiser la légalisation du cannabis suscite de diverses réactions autour du pays. Certains États fédéraux émettent notamment des réserves quant à cette décision. Le ministre bavarois de la Santé et des Soins avertit par exemple quant aux risques de faire de l’Allemagne une destination de tourisme de la drogue en Europe.
Pour sa part, l’ABDA (fédération des associations allemandes de pharmaciens) met en garde contre les dangers sanitaires. Pour rappel, elle a émis sa position sur le sujet en juin 2022. Ses représentants déclaraient alors que « la présence de plusieurs canaux de distribution compliquerait le maintien de standards élevés en matière de protection des consommateurs ». Cependant, les Verts allemands soutiennent le plan de légalisation du cannabis en avançant entre autres que des décennies de répressions n’ont fait qu’exacerber les risques. Un commerce contrôlé, quant à lui, permettrait de mieux maîtriser la qualité des produits en circulation.
Le principal problème lorsqu’il s’agit de marijuana en revanche, c’est qu’il est souvent difficile de fixer un taux de THC légal. Pourtant, cette substance — qui est le premier responsable de l’effet « high » de la plante — est associée à plusieurs risques pour la santé physique. Elle favoriserait en outre les problèmes de dépendance. Pour l’Allemagne, l’enjeu est donc de trouver le juste équilibre entre « liberté pour les consommateurs » et « protection de la santé publique ».Quoi qu’il en soit, le ton est lancé. La légalisation du cannabis en Allemagne pourrait même entraîner l’abandon des poursuites pénales engagées contre les personnes arrêtées pour seule possession de marijuana. On pourrait alors assister à la même scène qu’aux États-Unis. En effet, n’oublions pas le geste historique de Joe Biden. Le président américain a, par décret exécutif, annulé toutes les condamnations liées à la même infraction en début d’octobre 2022.